Alfred et Emily

18 mai 2010 Par bibliothequelaregence

Si certains enfants peuvent percevoir les émotions tacites de leurs parents, Doris Lessing a été de ceux-là. Traumatisés par la Première Guerre Mondiale, ses parents ont porté différemment le lourd fardeau d’un passé qui les a changés à jamais. Ils ont sombré tous les deux dans une profonde et accablante dépression. Après avoir traversé de nombreux moments difficiles, de fil en aiguille,  Emily Mc Veagh s’est retrouvée à s’occuper de ses deux enfants et de son mari lourdement handicapé dans une ferme en Rhodésie du Sud.
Emily Mc Veagh. Mère toxique de Doris Lessing mais pas moins brillante. Selon sa fille, elle aurait probablement pu vivre autre chose qu’une vie de garde-malade affublée de deux mioches ingrats, dans la cambrousse.
Alfred et Emily - Doris LessingEt c’est cette autre vie, parmi d’autres, qu’a imaginée Doris Lessing pour ses parents. Loin des fantômes de la guerre. Qu’aurait été leur vie si « la der des der » ne les avait pas arrêtés dans l’élan de la jeunesse ? Se seraient-ils mariés tout de même, eux qui étaient si différents l’un de l’autre ? Auraient-ils eu des enfants ? Auraient-ils émigré en Afrique ?
Doris Lessing a beau prétendre qu’elle détestait sa mère, par moments, on n’en sent pas moins poindre de la compréhension, de l’admiration même. Aujourd’hui, mère à son tour, elle a acquis cette conscience aiguë des souffrances passées mais à jamais gravées dans la chair de ses parents. On perçoit aussi tout l’amour qu’elle vouait à ce père brisé par la guerre.
Deux vies sont ici narrées avec émotion. Deux vies au parfum d’un autre temps et néanmoins pas si lointaines. Une existence vécue et bien remplie ; une existence qui aurait pu l’être. Doris Lessing touche le lecteur avec cet hommage posthume à ses parents.

L.S.

LESSING, Doris. Alfred et Emily. Paris : Flammarion, 2008.