Une lecture d’Othello de William Shakespeare par Silvia G.v.B. – Club de lecture 2016

29 avril 2016 Par bibliothequelaregence

Othello de William ShakespeareLa lecture de cette pièce théâtrale est d’emblée exigeante. L’absence de narration, la longueur des tirades, le style poétique, avec ses licences de syntaxe, pourraient devenir des barrières à la lecture.

J’ai relevé le défi et ai lu dans L’Othello de Shakespeare une magistrale étude des côtés sombres de l’âme humaine. À savoir, Othello est la tragédie de la jalousie portée à son paroxysme. Mais la pièce ne se résume pas à la jalousie, elle est aussi la description de l’envie: l’envie comme le résultat d’un sentiment de frustration avéré chez Iago. Celui-ci n’est pas content de voir la position supérieure de Michel Cassio et d’Othello dans l’armée.

Iago : « Méprisez-moi, si ce n’est pas vrai. Trois grands de la Cité vont en personne, pour qu’il me fasse son lieutenant, le solliciter chapeau bas ; et, foi d’homme, je sais mon prix, je ne mérite pas un grade moindre. Mais lui, entiché de son orgueil et de ses idées, répond évasivement, et, dans un jargon ridicule, bourré de termes de guerre, il éconduit mes protecteurs: En vérité, dit-il, j’ai déjà choisi mon officier. Et quel est cet officier ? Morbleu ! C’est un grand calculateur, un Michel Cassio, un Florentin, un garçon presque condamné à la vie d’une jolie femme, qui n’a jamais rangé en bataille un escadron, et qui ne connaît pas mieux la manœuvre  qu’une donzelle !» (Acte premier, scène première)

Le personnage de Iago est l’extrême du cynisme et de l’égoïsme.

 Iago : « Je n’y reste que pour servir mes projets sur lui. Nous ne pouvons tous être maîtres, et tous les maîtres ne peuvent pas tous être fidèlement servis […]. En le servant, je ne sers que moi-même, et le ciel m’est témoin que je ne le fais ni par amour, ni par dévouement, mais, sous leurs dehors pour mon intérêt personnel. » (Acte premier, scène première)

Les personnes ne sont à ses yeux que des instruments pour arriver à ses fins ou des obstacles à bannir. Oui, le personnage est haïssable.

L’envie de Roderigo, qui n’a pas été élu par Desdémona, a bien servi les noirs desseins de Iago.

Club de lecture - Avril 2016Les personnages qui démontrent de la bonté ou de la sagesse tels que Brabantio – qui finalement cède sa fille Desdémona en mariage à Othello, Le Doge de Venise – ne sont pas développés par l’auteur. Pourtant, leurs tirades laissent une perle de sagesse à savourer dans la traduction.

 Le Doge : « Laissez-moi parler à votre place, et placer une maxime qui serve à ces amants de degré, de marchepied pour remonter à votre faveur. Une fois irrémédiables, les maux sont terminés par la vue du pire qui put nous inquiéter naguère. Gémir sur un malheur passé et disparu est le plus sûr moyen d’attirer un malheur nouveau. Lorsque la fortune nous prend ce que nous ne pouvons garder, la patience rend son injure dérisoire. Le volé qui sourit dérobe quelque chose au voleur. C’est se voler soi-même que dépenser une douleur inutile. »  (Acte premier, Scène III)

 Et dans l’original :

Let me speak like yourself; and lay a sentence
Which, as a grise or step, may help these lovers
Into your favour.
When remedies are past, the griefs are ended
By seeing the worst, which late on hopes depended.
To mourn a mischief that is past and gone
Is the next way to draw new mischief on.
What cannot be preserved when fortune takes,
Patience her injury a mockery makes.
The robb’d that smiles steals something from the thief;
He robs himself that spends a bootless grief.

 Ceci pourrait faire penser que Shakespeare est bien plus intéressé par les mécanismes du mal. Encore, cette tragédie ne peut pas être limitée aux sujets déjà mentionnés.  Une deuxième lecture laisse apparaître d’autres thèmes comme, par exemple, l’identité de l’autre – facilement associé au mal – et les contradictions des protagonistes.  Lisez comme Othello veut être connu :

« Alors vous aurez à parler d’un homme qui a aimé sans sagesse mais qui n’a que trop aimé ! d’un homme peu accessible à la jalousie, mais qui, une fois travaillé par elle, a été entraîné jusqu’au bout! » (Acte V, Scène II)

Je vous recommande de lire Othello ou le Maure de Venise en savourant  petit à petit – à la façon d’un Britannique qui déguste son thé at five o’clock. Alors, vous trouverez encore des thèmes dont les échos sonnent de nos jours.

Silvia G.v.B.
Club de lecture

SHAKESPEARE, William. Othello. Paris : Librio, 1996