Le hasard a bien fait les choses en mettant sur la route de Luc Baba, ou plutôt dans un meuble acheté dans une brocante, un livre sur les prisons qui mentionnait l’existence de bagnes pour enfants. L’évidence a frappé l’auteur liégeois qui en a fait le point de départ de son dernier livre dont le jeune Louis est le héros, mais pas n’importe lequel.

Louis rêve d’embarquer à bord d’un bateau et s’est promis d’être « un héros invincible ». « Je me moquais bien de partir au combat, j’étais l’enfant explorateur convaincu de pouvoir dompter les tempêtes », dit-il, alors que « tous les enfants du monde savent aussi qu’ils ne s’en iront pas, qu’il faut rentrer quand la nuit est froide. »

Louis a sept ans et doit en effet rentrer chez sa mère, où il vit avec ses grandes sœurs, Hélène et Rose, et son petit frère Paul. Nous sommes en 1917 et dans la fureur de la guerre, la famille attend désespérément le retour du père parti au front trois ans plus tôt. Ce dernier ne reviendra pas. Il n’est pas invincible et Louis n’aura pour souvenir qu’une petite boîte en fer contenant « les deux éclats de l’obus qui lui avait fendu le crâne. »

La mère, éperdue, se sépare des enfants. Elle ne gardera que le petit Paul tandis qu’Hélène travaillera aux champs et que Louis et Rose seront confiés aux soins de « bienfaiteurs des  Institutions ». Autrement dit, ils seront placés dans un orphelinat, l’une à Sainte-Barbe, l’autre à Vertbois. Et sous le couvert de cette antienne sentencieuse « apprenez la patience, apprenez la vertu, étudiez vos leçons », ils y seront élevés durement et y essuieront brutalité et humiliations.

Révolté par leurs conditions de détention, Louis n’est pas assez solide pour s’opposer frontalement à l’autorité en place. Aussi, il continue à rêver et se plonge dans les études, en se découvrant même un talent pour l’écriture. Même si son adolescence lui « laisse un goût de sécheresse, d’hiver sans jeux où l’on attend une surprise, un dimanche différent de tous les autres dimanches », il s’arme aussi de patience car peu d’années le séparent encore de la liberté. 

Et cette liberté tant souhaitée, qu’en faire lorsqu’elle s’offre à vous ? Si Rose choisit de rester entre les murs de Sainte-Barbe, Louis n’a pas perdu ses rêves de prendre le bateau et un départ vers Elephant Island se dessine. On y cherche en effet du personnel pour y travailler « dans une sorte d’orphelinat »…

L’atout charme de Luc Baba est indéniablement la langue, rompue, poétique et imagée. Si les belles phrases favorisent le plaisir, la langueur et le bercement qui précèdent l’endormissement, c’est d’éveil qu’il s’agit ici. Un éveil cruel de l’enfance à la violence, à la solitude, à l’injustice, à la liberté entravée par les bonnes intentions qui pavent l’enfer. Et par ailleurs, la poursuite du bonheur toujours espéré : « Tu reçois un chemin, il est moche, d’accord, mais si tu l’acceptes pas tu te perds et quand tu te perds soit tu deviens un loup, soit tu crèves sous les dents des autres. »

Luc Baba a déjà à son actif une quinzaine d’ouvrages, publiés pour la plupart chez Luce Wilquin. Elephant Island, quant à lui, est édité par Belfond et a obtenu le Prix Gauchez-Philippot en 2016.

L.S.
Bibliothécaire

Luc BABA. Elephant Island. Paris : Belfond, 2016. 

Pour lire un extrait d’Elephant Island

Rencontrez l’auteur le vendredi 28 avril lors d’une lecture musicale d’Elephant Island, suivie d’une séance de dédicaces. Bienvenue !