Guerre et Térébenthine de Stefan Hertmans

25 janvier 2018 Par bibliothequelaregence

Pendant plus de 30 ans, Stefan Hertmans a conservé sans les ouvrir les deux cahiers où son grand-père a consigné ses souvenirs.

« Je gardais les cahiers fermés, alors que je savais que ce récit exceptionnellement bien documenté avait sa place dans les archives de la Première Guerre mondiale – autrement dit, que par ma scandaleuse indolence , je recelais de surcroît un témoignage direct saisissant , qui aurait dû entrer dans le domaine public. »

Le premier cahier contient les écrits d’une jeunesse « misérable » à Gand, avant 1900, ainsi qu’une partie de ses souvenirs de la Grande Guerre. Le second cahier reprend l’histoire d’Urbain là où s’arrêtait le premier, au beau milieu de l’année 1916.

Comment écrire sans trahir ? C’est tout l’enjeu de ce récit ambitieux qui, outre l’hommage rendu à une grande figure familiale, tente de réconcilier le militaire que fut Urbain Martien et l’artiste qu’il aurait voulu être.

« Ce travail me confrontait à la douloureuse réalité de toute œuvre littéraire : je devais d’abord me guérir de l’histoire authentique, la libérer, avant de pouvoir la retrouver à ma manière. »

Stefan Hertmans découpe son récit en trois parties distinctes. La première est consacrée au processus d’écriture de l’auteur et à la jeunesse difficile de son grand-père, aîné d’une famille désargentée de cinq enfants dont le père, Franciscus, restaurait avec talent les fresques fatiguées des églises sous le regard admiratif de son premier fils. Urbain héritera de lui un profond intérêt pour la peinture.

La deuxième partie constitue un volet sanguinaire. La parole est laissée au soldat de la Grande Guerre, lequel raconte dans une pléthore de détails les horreurs, les traumatismes et les humiliations mais aussi l’amitié, le courage et les valeurs militaires. Le tout offre un contraste saisissant entre « le sublime et la mort ». Dans les tranchées, le temps s’arrête pour ces jeunes gens sans âge et la monotonie s’installe : « Vieux avant l’heure, nous nous comportons comme des enfants fatalistes, enfermés, obtus, indifférents à la vie et à la mort. »

La troisième partie fait référence à la vie maritale d’Urbain Martien fondée, tout comme sa vie militaire, sur un certain sens du devoir. La peinture, qu’il exerce sans génie, lui permettra de ranimer quelque peu son amour perdu.

À travers l’histoire de son grand-père, Stefan Hertmans met magnifiquement en perspective la Flandre du début du 20e siècle, à grand renfort de références à l’art, flamand principalement. En retournant un siècle plus tard sur ces  lieux qui « ne sont pas qu’un espace » mais qui « sont aussi associés à une époque », Hertmans interroge la cruauté du changement perpétuel :

« Même une poignée du sable froid et sale d’un sentier forestier ne me permet pas d’établir une forme de contact avec ce qui s’est passé autrefois.»      

Outre ses cahiers, Urbain Martien a légué à son petit-fils le sens merveilleux du détail et de l’émerveillement. Guerre et Térébenthine est le brillant aboutissement de cette transmission.

L.S.