Tu montreras ma tête au peuple / François-Henri Désérable

27 avril 2014 Par bibliothequelaregence

Car depuis qu’on lui avait ôté sa liberté, le plus grand esprit français du siècle dernier passait son temps à lire, et semblait résigné à continuer ainsi jusqu’à ce qu’on lui ôtât enfin la vie.

A l’abbaye de Port-Royal, transformée en maison d’arrêt pendant la Révolution, il lisait. Dans l’hôtel des Fermes, reconverti en prison à l’usage des fermiers généraux, il lisait. Quand on vint le chercher à la Conciergerie, un quinquet fuligineux éclairait à peine la cellule assombrie, et le plus grand esprit français du siècle dernier, tapi dans la pénombre, lisait. Alors que croyez-vous qu’il fît sur la sinistre charrette ? Le plus souvent, les condamnés criaient, pleuraient, priaient, haranguaient le peuple ou le maudissait. Le plus grand esprit français du siècle dernier ? Il lisait.

Tu montreras ma tête au peuple par François-Henri Désérable« Tu montreras ma tête au peuple, elle en vaut la peine ». Ces mots, adressés au bourreau par Danton avant qu’il ne soit guillotiné, introduisent ce recueil de 10 nouvelles autour de la révolution française. François-Henri Désérable, avait déjà exploité le personnage de Danton dans une nouvelle intitulée Clic ! Clac ! Boum ! – du son que rend la guillotine avant de trancher – laquelle l’avait fait figurer parmi les lauréats du Prix du jeune écrivain de langue française en 2012. Ce n’est pas si loin. Désérable, hockeyeur professionnel (il joue actuellement dans l’équipe des Vipers de Montpellier), a 25 ans et fait une entrée remarquée en littérature avec ce petit livre relativement bien maîtrisé.

L’auteur s’écarte des clichés de l’histoire dont il a une connaissance remarquable et avec laquelle il prend une distance saisissante pour son âge. Le choix de prendre pour héros (mais pas toujours comme narrateur) les victimes du rasoir national était osé, et il aurait été facile de s’empêtrer dans un manichéisme patriotique. Mais Désérable n’exclut pas la cruauté et le cynisme révolutionnaires.

Ces points de vue inhabituels donnent tout leur intérêt aux récits. Le lecteur qui ne connait la Reine Marie-Antoinette que comme « l’Autrichienne », responsable de tous les maux de la France, observera la dignité et la résignation à travers l’œil de bœuf de sa geôle. « Le plus grand esprit français du siècle dernier » s’émouvra peu à l’idée de sa fin prochaine et aura encore la tête plongée dans un livre quelques minutes avant qu’elle ne roule dans le panier. Et qu’en est-il de Sanson ? Jusqu’à quand « bourreau de père en fils » ne sera-t-il plus un métier comme un autre ?

Si deux ou trois récits souffrent de quelques longueurs, le lecteur les pardonnera aisément s’il tient compte du fait qu’il s’agit là d’un premier livre. À la page 122, Désérable écrit qu’ « on ne répètera jamais assez combien il faut se méfier des artistes médiocres, des plumitifs besogneux. » L’avenir nous dira ce qu’il en est en ce qui le concerne. Mais en la circonstance, Lecteurs, Tu montreras ma tête au peuple mérite qu’on s’y attarde.

L.S.

DÉSÉRABLE, François-Henri. Tu montreras ma tête au peuple. Paris : Gallimard, 2013. 184 p.